Dernière mise à jour le : 13/12/2024
Les bouleversements que provoquent les technologies de l’information et communication (TIC) dans le monde professionnel se répercutent sur les conditions de travail par des effets nombreux, divers et d’intensité variable. Associées aux choix organisationnels, elles jouent parfois un rôle catalyseur. Elles peuvent donc être aussi bien associées à des améliorations des conditions de travail qu’à des dégradations surs lesquels le rapport du Centre d’analyse stratégique et de la Direction générale du travail (1) met l’accent.
Agir Mag : Quelle est la place des TIC dans l’entreprise ?
Tristan Klein : L’informatique existe depuis une quarantaine d’années dans le monde du travail, à commencer par les banques. Aujourd’hui, la plupart des domaines d’activité ont adopté les TIC et la proportion de salariés qui n’y ont pas accès se réduit régulièrement. Ces outils de communication se sont développés avec l’usage accru de l’internet, du courrier électronique, du web 2.0, des réseaux sociaux…
La dernière décennie a été marquée par le fort développement de la mobilité des TIC avec les ordinateurs portables, les téléphones mobiles et l’usage grandissant des smartphones et des tablettes depuis 2010. A cet égard, et pour les chercheurs et consultants en organisation qui ont rédigé ce rapport, le smartphone est vraiment l’outil emblématique récent qui synthétise ces changements (avec ces mails qui apparaissent n’importe où, n’importe quand !) et dont les effets apparaitront plus tardivement…
Agir Mag : Et l’usage qu’en font les salariés ?
T. K. : Hier, c’est la direction d’entreprise qui décidait d’implanter des outils, des projets informatiques, des logiciels, etc. Aujourd’hui, les usages viennent de l’extérieur. Il y a cinq ans par exemple, les entreprises équipaient certains de leurs cadres de smartphones. Désormais deux tiers des salariés utilisent leur propre « téléphone intelligent » au travail et les pratiques de la sphère privée s’invitent dans l’entreprise.
Notre rapport montre que les pratiques et les transformations organisationnelles dans l’entreprise ne peuvent être déconnectées des usages individuels ou collectifs des technologies. C’est pour cela qu’il est difficile d’accuser soit la révolution du travail ou le management d’un côté, soit l’utilisation des TIC de l’autre côté. Mais on peut savoir dans quelle mesure et sous quelles conditions les TIC participent à l’intensification du travail, à la mise sous tension de leurs utilisateurs par l’effet de contraintes qu’elles génèrent ou qu’elles décuplent.
Agir Mag : Quels sont les risques les plus avérés ?
T. K. : L’analyse met en évidence un brouillage des frontières entre travail et hors-travail. Autrefois, le travail était défini par une unité de temps, de lieu et d’action. Aujourd’hui, avec la consultation des mails privés, des pages internet et autres « Facebook », il y a invasion de la vie personnelle au bureau, mais aussi une massive exportation du travail dans la vie privée pour qui consulte ses mails professionnels à la maison ou dans les transports… Avec cette porosité croissante entre vie professionnelle et vie privée, c’est moins la question du « n’importe où » que celle du « n’importe quand », donc du travail qui dépasse le cadre des horaires habituels, qui est mise en avant.Comme le souligne avec malice le spécialiste du droit du travail Jean-Emmanuel Ray, « même Stakhanov ne pouvait pas finir sa tonne de charbon à la maison à cause de la loi de la pesanteur ». Aujourd’hui, avec le « cloud » ou une simple clef USB, on peut ramener tout ses dossiers et logiciels du bureau… et finir le travail à la maison !
Parmi les autres risques, le rapport note que le renforcement du contrôle de l’activité via les TIC peut réduire l’autonomie des salariés, mais pointe aussi les effets de surinformations (avec l’afflux de courriels à gérer) et d’intensification du travail. Enfin la question de l’affaiblissement des relations interpersonnelles et/ou des collectifs de travail se pose plus particulièrement dans les organisations hiérarchiques très verticales que dans celles organisées en mode projets qui au contraire bénéficient des avantages de ces outils.
(1) Rapport et note de synthèse disponibles sur www.strategie.gouv.fr Rubrique publications.
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